par Raïmi Osseni, collaboration spéciale avec @Stat, e-magazine de Statistique Canada
La naissance de mon premier enfant en décembre dernier a constitué l’un des plus heureux évènements de ma vie. Cet évènement bouleversant a également marqué l'apparition d’une série de questions que je ne m’étais, évidemment, jamais posées auparavant. Par exemple, en berçant ma fille un soir neigeux de février, je me suis demandé comment élever une enfant née d’une mère anglophone d’origine canadienne et d’un père francophone d’origine béninoise. À l’embouchure de deux langues et de deux cultures, elle allait sans doute grandir au sein de celles, hybrides, que ma conjointe et moi avions créées, et apprendre de ces pays si différents. Mais comment accepter ensuite qu’elle perde certains éléments de nos cultures respectives et qu’elle s’en crée une propre à elle? De mon père à ma fille par exemple, ma famille risque de perdre deux langues, le Yoruba que je n’ai appris qu’à baragouiner et le Fon que je ne sais comment lui transmettre. Par contre, je parle espagnol et je suis conscient que mes enfants seront certainement exposés à cette langue.
Parker Palmer, un activiste qui a écrit sur des sujets tels que l’éducation, le leadership, la spiritualité et le changement social a dit : « On enseigne ce que l’on est ». Cette maxime m’a rassuré et a confirmé que je n’ai qu’à chercher en moi ce que je veux partager avec mes enfants.
De profondes réflexions m’ont emmené à dresser une liste de mes atouts. J’ai notamment cerné quelques aptitudes qui m’ont beaucoup servi durant mon adolescence et ma vie de jeune adulte : un niveau élevé de conscience à propos de qui je suis et de ce qui m’entoure et un désir de mieux comprendre ce qui m’entoure pour mieux le partager avec d’autres. En trois mots : conscience, curiosité et partage. J’ai décidé de puiser à la source de ces aptitudes les leçons que je partagerai avec ma fille. Ce sont de ces leçons que j’aimerais vous parler ce soir, car que l’on soit parent ou étudiant, hommes d’État ou femmes d’affaires, un niveau de conscience élevé, une bonne dose de curiosité et un sens du partage s’avèreront des atouts certains dans les relations humaines.
J’ai récemment trouvé inspiration dans les paroles de la chanteuse canadienne Jann Arden : « Feet on ground / Heart in hand / Facing forward / Be yourself. » [trad. Pieds sur terre / Cœur sur la main / Droit devant / Soi toi-même]
Pieds sur terre
Pour maintenir un niveau élevé de conscience, il est justement important de garder les pieds sur terre. J’en veux pour preuve ma relation avec la pauvreté. Enfant et adolescent, j’ai grandi entre trois pays d’Afrique : le Bénin, le Cameroun et Madagascar. Si ma vie dans ces pays s’est progressivement améliorée, j’ai vu dans les rues d’Antananarivo un niveau de pauvreté que je ne pouvais concevoir jusqu’alors : enfants mendiant dans les rues ou travaillant pour gagner quelques sous et hommes et femmes sous-alimentés vivant dans des taudis. Cependant, je suis vite devenu insensible à cette pauvreté latente parce que justement elle était partout autour de moi. Insouciant, je vivais humblement mais confortablement, entouré de familles aisées. Ensuite, une fois au Canada où je suis venu poursuivre des études entièrement payées par mes parents et par des bourses, j’ai continué de naviguer sur l’océan de confort qu’offraient le cadre universitaire et une instruction sans souci financier. Je faisais du bénévolat avec des associations en développement économique communautaire, mais sans me sentir vraiment impliqué.
Tout a basculé au bout de 10 ans. En stage en Équateur où je m’étais rendu pour faire du développement international, j’ai été de nouveau confronté à la pauvreté. Bien qu’ils aient de nouveaux visages, il s’agissait toujours d’enfants marchant pieds nus dans les rues et ne sachant plus jouer, ou de parents si pauvres qu’ils ne pouvaient offrir un souper à leurs familles sous prétexte que « la nuit, quand on dort, on ne dépense pas d’énergie. » J’ai d’abord été dégoûté par cette pauvreté que j’ai rejetée avec force; je n’étais plus conditionné à la voir sans réagir. Puis je me suis souvenu du Bénin, du Cameroun et surtout de Madagascar. J’ai compris ce que vivaient ces familles équatoriennes en partageant le peu qu’elles avaient. J’ai vécu, ri et joué avec elles. J’ai voulu leur donner encore plus que je n’étais censé le faire et je l’ai fait. Et surtout, je me suis souvenu d’où je venais et de ce qui a modelé la personne que je suis aujourd’hui.
Après cette aventure, j’ai ressenti le concept de pauvreté comme étant une part de moi. Je suis devenu un indigène du monde, en ce sens que c’est un concept universel. Et si je veux montrer l’importance d’un degré supérieur de conscience à ma fille, je dois me souvenir d’où je viens.
Cœur sur la main
Pour maintenir un niveau élevé de conscience, il est également crucial d’avoir le cœur sur la main. Le paradoxe de cet exemple illustre mes propos. Ancien étudiant international moi-même, je me suis surpris durant un cours du MBA de l’Université de Regina, à en vouloir aux étudiants internationaux qui, à mes yeux, ralentissaient la cadence. Principalement venus de Chine, ils ne s’exprimaient pas très bien en anglais et j’avais le sentiment qu’il fallait leur faire la faveur d’aller à leur rythme. Pour moi, ils étaient venus pour compléter rapidement une maîtrise et retourner dans leur pays, sans apporter de valeur ajoutée au Canada.
Comme ces pensées sont cruelles, surtout venant d’un immigrant! Et comme je me trompais! À un de ces étudiants internationaux qui s’excusait de son niveau d’anglais dans un travail de groupe, une de mes collègues a répondu : « Non, ne t’excuse pas : l’anglais est ma seule langue alors que te voilà en train de prendre des cours de deuxième cycle universitaire dans une langue autre que la tienne. » Qui plus est, j’ai appris plus tard que cet étudiant avait fait sa demande de résidence permanente au Canada! J’étais abasourdi. Qu'il retourne ou pas dans son pays d'origine, mes préjugés et mes suppositions m’avaient complètement aveuglé. La peur que génère le changement avait eu emprise sur moi. Je ne voyais plus les choses de la même façon que ces étudiants étrangers qui pourtant relevaient un défi auquel j’avais moi-même fait face une quinzaine d’années plus tôt. J’étais en train d’oublier les valeurs que j’avais acquises au contact de tant de gens différents entre Cotonou, Yaoundé et Antananarivo et mes autres destinations de voyage : l’empathie, l’ouverture à la différence, l’humilité, et le respect. Pourtant, si je veux montrer l’importance d’un degré supérieur de conscience à ma fille, je dois me souvenir de ce que j’ai appris.
Rester soi-même
Enfin, pour maintenir un niveau élevé de conscience, il est important de se tourner vers l’avenir tout en restant fidèle à soi-même. En Afrique francophone, j’ai rencontré de nombreux Français. Anciens colons des pays dans lesquels j'ai vécu, je posais sur eux un regard très critique, pas très ouvert, pour tout vous dire. À Montréal, j’ai fait l’amalgame des « blancs » et ai associé ce que je pensais alors des Français avec les Québécois, nuisant gravement à ma perception de ces derniers. J’ai vécu plusieurs années dans cette ville sans chercher à découvrir les Québécois. Je ne suis jamais sorti de ma zone de confort, passant tout mon temps à graviter en orbite de personnes qui me ressemblaient, notamment des étudiants étrangers, africains et… français! J’ai émis des jugements sur les habitants de la Belle Province sans même chercher à les connaître. À la fin du cycle universitaire, la plupart de mes amis africains et français sont retournés chez eux prendre la relève d’entreprises familiales et j’ai décidé de rester. En quête d’un emploi, je me suis retrouvé comme une planète sans satellite : je n’avais aucun contact local dans une ville où chaque année des dizaines de milliers d’étudiants obtiennent un diplôme de l’une des quatre universités et des nombreux collèges.
Il faut savoir reconnaître et apprendre de ses erreurs : j’ai fait une introspection et réalisé les miennes; en déménageant au Manitoba, j’ai décidé d’adopter une attitude plus ouverte et plus positive. Je suis d’abord allé vers ceux qui sont différents de moi, les anglophones et les manitobains. J’ai visité plusieurs villes et villages et je me suis fait des amis à Winnipeg, bien sûr, mais aussi de Stony Mountain à Minitonas en passant par Sainte-Geneviève. Ces amitiés m’ont permis de découvrir et d’apprécier le Manitoba, mais aussi ce que j’appelle le Canada profond. Je suis devenu un fervent ambassadeur de la culture « d’ici », un autochtone. J’ai réappris que ma façon de vivre, ma langue et ma culture ne sont pas uniques ni meilleures que celles des autres. J’ai redécouvert la musique country et les danses autochtones dans leur cadre d’origine. Je suis redevenu avide d’histoire et de géographie. Je suis redevenu la personne curieuse que j’étais avant de déménager au Canada et j’en suis très heureux : si je veux montrer l’importance d’un degré supérieur de conscience à ma fille, je dois me souvenir qui je suis.
J’aimerais vous inviter, en concluant, à sortir des sentiers battus et à émerger de votre zone de confort. Essayez d’évaluer, de prendre la mesure, de jauger l’impact que vous avez sur votre entourage. Il n’y a pas à attendre des évènements majeurs tels que la naissance d’un enfant, de grands voyages ou des accidents graves pour porter ce regard analytique sur soi et autour de soi et pour revoir et corriger nos perceptions. Car étudiants, parents, professionnels ou gens d’affaires, le fait d'être attentifs et conscients vous permettra d’éviter bien des erreurs; un niveau de conscience élevé et une bonne dose de curiosité et de générosité s’avèreront des atouts certains : j’en suis convaincu!
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