Plaidoyer pour les "tirailleurs Dahoméens"

Un article de Adjaï Paulin OLOUKPONA- YINNON paru dans Ethiopiques numéro 50-51. Revue trimestrielle de culture négro-africaine Nouvelle série-2ème et 3ème trimestres 1988-volume 5 n°3-4

Dans un ouvrage consacré aux « Tirailleurs Sénégalais », il convient de ne pas oublier que toutes les puissances coloniales européennes ont eu recours, comme la France, à des soldats noirs, pour l’instauration de leur pouvoir sur notre continent, ou pour servir de chair à canon dans des guerres européennes. Ainsi en fut-il des troupes Haoussa au service des Anglais, et des troupes d’Askari qui permirent au général allemand Paul Lettow- Vorbeck de s’illustrer dans la Première Guerre Mondiale en Afrique Orientale. Nous n’oublierons pas cette « dette de sang » envers tous ces soldats noirs qui, engagés dans des guerres qui n’étaient pas véritablement les leurs, sont tombés, anonymes, enveloppés dans la poussière de l’histoire coloniale, parce que n’appartenant pas à un corps d’armée reconnu, comme celui des « Tirailleurs Sénégalais ». C’est encore le cas des « Tirailleurs Dahoméens », soldats de fortune, esclaves promis à la liberté mais enrôlés de force dans la troupe coloniale allemande du Cameroun en 1891, et qui, parce qu’ils n’étaient pas payés pour leur service, se sont révoltés en décembre 1893, et ont vu leur révolte réprimée dans le sang, comme ce fut, cinquante ans plus tard, le cas des « Tirailleurs Sénégalais » massacrés à Thiaroye en décembre 1944, pour avoir réclamé avec vigueur le paiement de leurs arriérés de solde.

La mutinerie de Thiaroye est mieux connue parce qu’elle est plus récente, et surtout parce qu’elle figure dans nos livres d’histoire, et qu’elle est thématisée dans notre production littéraire. Elle est même parfois récupérée par le discours politique de nos dirigeants, bref, elle est reconnue comme un témoignage historique du scandale et de l’injustice envers les « Tirailleurs Sénégalais ». Par contre, l’insurrection des « Tirailleurs Dahoméens » à Douala sous l’administration coloniale allemande a non seulement été réprimée impitoyablement, mais elle a été ensuite soigneusement effacée de la mémoire collective des contemporains de l’événement, occultée dans la plupart des manuels d’histoire coloniale allemande, et gommée de tous les discours politiques allemands jusqu’au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale. Ce n’est qu’en 1960 que, dans l’effervescence du « réveil de l’Afrique », cette révolte est opportunément rappelée à notre attention sous la plume de l’historien est-allemand Adolf Rüger [1]. C’est à ce dernier que nous devons les renseignements les plus précis sur la genèse et le déroulement de ce drame colonial . Nous avons fait, pour notre part, une analyse détaillée de l’événement [2], en le restituant dans son double contexte allemand et africain. Mais les protagonistes et les victimes de ce dra­me ne connaîtront jamais l’hommage posthume qui leur est dû, si l’Afrique ne prend pas conscience de ce que signifiaient leur combat et leur échec. A cet égard, la comparaison avec la mutinerie de Thiaroye nous paraît nécessaire, parce qu’elle montre que l’histoire - même dans la banalité tragique - se répète sans que l’homme en tire toujours les leçons nécessaires. Voyons d’abord les faits :

Le 15 décembre 1893, à Douala, dans la caserne de la troupe colonial allemande composée essentiellement d’anciens esclaves noirs achetés par les Allemands auprès du Roi Gbêhanzin du Dahomey (d’où leur sobriquet : les « Dahoméens »), une révolte éclate par suite de la colère des « soldats dahoméens » qui, après avoir été utilisés pendant deux ans pour la « pacification » du Cameroun, n’avaient toujours pas reçu de salaire [3]. Les femmes des « soldats dahoméens » (elles aussi anciennes esclaves achetées également au Dahomey et affectées à des tâches agricoles pour le compte de l’administration coloniale ) veulent soutenir les revendications salariales de leurs maris. Elles veulent procéder à une grève de zèle dans la journée du 15 décembre 1893. En réponse à cette action de débrayage, le gouverneur intérimaire allemand - Heinrich Leist ­ les fait bastonner, en les dénudant en public devant leurs maris mis au garde-à-vous. Cette humiliation publique est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase et qui a poussé les « Dahoméens » à piller le dépôt d’armes de la caserne et à occuper le palais du gouvernement colonial allemand à Douala en cette soirée du 15 décembre 1893, obligeant les Allemands à s’enfuir. Cette révolte qui a fait un mort parmi les fonctionnaires allemands et un autre mort dans les rangs des soldats noirs loyaux, a duré une semaine entière avant d’être finalement réprimée avec une rigueur impitoyable qui a fait 34 morts et autant de blessés dans les rangs des insurgés, les autres ayant trouvé leur salut dans la fuite et la désertion.

Le 1er décembre 1944, au camp de Thiaroye, à quelques kilomètres de Dakar, des « Tirailleurs Sénégalais », anciens prisonniers de guerre, démobilisés et en route pour leurs pays respectifs, réclament le paiement de leurs arriérés de solde ; désespérés de ne pas obtenir satisfaction de leur revendication légitime, ils séquestrent un général en guise de pression et de chantage. Pour toute réponse, le commandement du camp fait ouvrir le feu sur les manifestants. Bilan officiel 35 morts du côté des manifestants, autant de blessés, et seulement trois officiers contusionnés du côté des autorités plus un Noir blessé. Dans le cas de l’insurrection des « Tirailleurs Dahoméens » à Douala, tous les insurgés retrouvés par les patrouilles de recherche allemandes sont jugés et condamnés, soit à la peine capitale, soit aux travaux forcés à perpétuité. Dans le cas de l’insurrection de Thiaroye, 45 mutins sont (ensuite) traduits devant le tribunal militaire qui prononce un verdict sévère : 34 condamnations dont 6 à dix mois de prison [4]. Dans un cas comme dans l’autre, il y a eu plus tard des remises de peine, mais ceci ne représente que l’épilogue de ces deux drames coloniaux qui, dans leur logique absurde, illustrent la réalité des rapports entre Blancs et Noirs dans les troupes coloniales noires. En effet, la réaction violente face à ces deux révoltes ne peut être considérée comme une simple « bavure » : c’est une réaction épidermique qui traduit un malaise.

La disproportion flagrante entre le « crime » des insurgés et la sanction infligée par les autorités, reflète la méfiance envers les soldats noirs qui, dans les deux cas, ont même été soupçonnés d’être manipulés de l’extérieur : le commandement militaire français a, par exemple, soupçonné les « Tirailleurs Sénégalais » d’avoir été influencés par la propagande nazie pendant leur captivité en Allemagne. L’administration coloniale allemande à Douala, quant à elle, a cru voir dans la révolte des « Tirailleurs Dahoméens » une influence du Roi du Dahomey, parce que la participation active et courageuse des femmes de ces soldats - elles aussi d’anciennes esclaves - les a fait prendre pour des amazones du Roi du Dahomey. Ces soupçons injustifiés dans un cas comme dans l’autre, témoignent de la peur des autorités allemandes et françaises face à cette situation. Il n’est d’ailleurs pas difficile de cerner les raisons de cette peur. Au delà du mythe de la camaraderie d’armes, de la « communauté de gamelles et de destin » pendant les combats, il régnait visiblement entre Noirs et Blancs des troupes coloniales une discrimination larvée, uniquement perceptible dans des cas ponctuels, hors des champs de bataille : ces deux révoltes survenues à presque cinquante ans d’intervalle et dans des contextes coloniaux très différents, trouvent leur cause principale dans une affaire de salaire. Ce fait est déjà en soi un signe qui ne peut pas simplement être imputé au seul hasard : dans un cas comme dans l’autre, la révolte de ces soldats est comparable à celle du mercenaire qui se voit refuser le salaire d’une sale besogne qu’il a déjà accomplie. Vue sous cet angle, la réaction répressive des Blancs face à cette révolte traduit en vérité une peur secrète, latente : la peur de voir se dresser contre soi-même un bras que l’on a armé pour abattre un autre. Cette peur, inhérente à toutes les troupes coloniales noires, est la peur des Blancs de voir se retourner contre eux les armes qu’ils ont forgées dans les mains des hommes qu’ils ont formés. En somme, la « Force Noire » [5] représentait bel et bien une sorte d’épée de Damoclès suspendue au­dessus de la tête des Blancs qui en assuraient le commandement. A Douala en 1893 comme à Thiaroye en 1944, ce n’est pas la bravoure des soldats noirs qui était en cause ; la réaction des Blancs dans les deux cas, a été dictée par la peur et l’affolement devant un drame social qu’ils ont engendré et qu’ils ne pouvaient plus résoudre ni contrôler. En 1944 comme en 1893, c’est visiblement l’incapacité du pouvoir colonial de tenir compte ­ et de prendre en charge - des problèmes matériels des soldats noirs. Nous y voyons donc le signe patent de l’ingratitude du métier de tirailleur.

Dans la plupart des cas où la France a su rendre hommage à ses tirailleurs, on n’a pas toujours souligné que ces soldats noirs étaient rarement des engagés volontaires, et plus souvent de paisibles paysans et artisans sélectionnés pour leur aptitude et contraints au service militaire par la loi coloniale du recrutement forcé (loi du contingentement). Qu’il y ait eu quelques engagés volontaires - une minorité - ne peut pas faire oublier que des Africains trop zélés - surtout Blaise Diagne [6] - ont organisé pour les autorités coloniales ces recrutements forcés. Les « Tirailleurs Sénégalais » n’étaient donc soldats que par devoir et par contrainte ; et pourtant ils ont servi avec loyauté un maître et une cause qu’ils n’avaient pas choisis. Il en fut de même pour les « Tirailleurs Dahoméens » qui, enrôlés de force dans l’armée coloniale allemande du Cameroun grâce à un contrat de travail dont ils ne connaissaient pas le contenu réel, ont été dressés, comme des coqs de combat, contre des populations camerounaises hostiles à la colonisation allemande. Pendant deux ans, ils ont servi avec loyauté leur maîtres allemands qui asservissaient d’autres Noirs au joug colonial. Main-d’œuvre docile et gratuite, mercenaires parjures envers leurs propres frères de race, des soldats sans doute se sont vus acculés à la plus grande humiliation : leurs femmes, plusieurs fois violées par le gouverneur intérimaire Heinrich Leist, ont été dénudées et fessées publiquement devant leurs maris au garde-à-vous. Comme les « Tirailleurs Sénégalais » qui, après des semaines de revendications salariales infructueuses, décidèrent de séquestrer leur général, les « Tirailleurs Dahoméens » n’ont eu recours à la révolte que par suite de l’issue désespérée de leur situation. Dans un cas comme dans l’autre, la révolte ainsi que la répression, pose le problème classique de la reconnaissance des services rendus par les troupes noires aux puissances coloniales qui les ont utilisées : ingratitude pour la servitude, telle semble pouvoir être la leçon à tirer de ces deux révoltes, tant pour leurs causes que pour leurs conséquences. Dans un cas comme dans l’autre, des soldats fidèles et loyaux ­ souvent loyaux jusqu’à la traîtrise envers leurs frères de race - sont poussés à l’extrême limite du désespoir. A Thiaroye comme à Douala, des hommes - et des femmes ! - totalement dévoués au service d’un maître qui les a exploités sans ménagement, ont été écrasés comme des bêtes vulgaires parce qu’ils ont osé lever la main armée pour imposer un droit légitime. Les uns comme les autres ont été, pour ainsi dire, immolés à la colère de leurs chefs qu’ils ont pourtant servis jusqu’au prix de leur vie. Thiaroye et Douala, à cinquante ans d’intervalle, représentent, chacune à sa manière, le salaire de la traîtrise pour le prix de la légitimité. C’est en ce sens qu’elles représentent ensemble, et pour tous les Africains, un double symbole de l’injustice et de l’arbitraire. Pour cette raison, elles devraient être évoquées ensemble, commémorées ensemble, immortalisées ensemble, comme souvenirs permanents de la bêtise coloniale, dans toutes les troupes noires de toutes les puissances coloniales sur notre continent.

Le talent de Sembène Ousmane a déjà immortalisé la mutinerie de Thiaroye dans un film admirable. Qui mettra en scène pour la mémoire de tous les Africains l’insurrection de Douala ? Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude sous la glace et la mort, Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes, votre frère de sang ? [7]. Et vous aussi, Tirailleurs Dahoméens, « Vous n’êtes pas des pauvres aux poches vides sans honneur ». Alors qui viendra jeter sur la fosse commune de vos cadavres oubliés... « les fleurs aux noirs, les roses sans parfum, les roses de l’oubli » [8].




[1] Adolf Rüger, « Der Aufstand der Polizeisoldaten » , in : Helmut Stocker, Kamerun unter deutscher Kolonialherrschaft, Berlin : Rütten und Loenig, 1960, pp. 102-147.
[2] Adjaï Paulin Oloukpona- Yinnon, La révolte des Esclaves-Mercenaires Douala 1893. Bayreuth : Bayreuther African Series, N° 10, i987,96p.
[3] Pour justifier le non-paiement de salaire aux « Tirailleurs Dahoméens », l’administration coloniale allemande du Cameroun rappelait qu’il s’agissait là d’esclaves rachetés à un prix élevé, et qui devaient ensuite racheter leur liberté en travaillant gratuitement pour le compte du gouvernement colonial allemand.
[4] Joseph-Roger de Benoist, L’Afrique Occidentale Française. De la conférence de Brazzaville (1944) à l’indépendance (1960), Dakar : Les Nouvelles Editions Africaines, 1982, p. 152.
[5] Selon l’expression du général Charles Mangin (1886-1925), fondateur du corps d’armée des « Tirailleurs Sénégalais » . Dans son livre intitulé Force Noir, paru en 1910 et consacré à cette question, le passé militaire de la race noire est largement mis en lumière ainsi que les services que la France pourrait attendre d’une intégration militaire de ses colonies ». Il y écrit en effet : « La force noire s’ajoutera à toutes les autres. Nous disposerons donc de réserves pour ainsi dire indéfinies dont la source est hors de portée de l’ennemi ».
[6] Blaise Diagne (1870-1934), député sénégalais à l’Assemblée Nationale Française, homme politique dont la carrière fut mouvementée et controversée. En 1918, Georges Clémenceau le nomme Haut Commissaire de la République au rang de Gouverneur général chargé du recrutement des troupes noires en Afrique Occidentale Française. Son nom et son souvenir restent liés à cette mesure très impopulaire du recrutement forcé.
[7] Léopold Sédar Senghor, « Hosties noires)) (poème liminaire), in : Poèmes. Paris : Seuil, 1973, p. 53.
[8] Auguste Lacaussade (1817-1897), « Les Roses de l’oubli », Cité in : Hommes et Destins. Dictionnaire biographique d’Outre-Mer, publié par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, tome VIII

Hauts et bas d'un artiste afro-canadien

fmm2007_knaan_03Image by retorta_net via Flickr

Extrait de "Between the highs and the lows, life happens" de K'naan


I was a teenager in Toronto when it first hit me. The intolerable fear of insanity. You see, as Somalis, the fine art of psychoanalysis is not something we’ve learned to appreciate. You’re either a crazy person or you’re not. And since I didn’t really know any Canadians, there was no one to explain to me the sudden flood of anxiety attacks, depression and insomnia.

It’s fitting, I thought. I’ve escaped a war with minor injuries, adopted a new country where even laziness could be transformed into an opportunity for success, and I thought I would get away clean? Of course there had to be some tragic balance to this overbearing fortune. God, I thought, did I really have to choose between peace and sanity. I remember having these thoughts alone in a living room, pacing up and down, opening and closing windows in a frenzy, but one mid-afternoon when I ended up in a bathtub still half dressed, I decided that I should tell someone.

Mom said that the answer was in the Koran. My answer to her was, didn’t the Koran say to seek help from professionals? And so we did. Doctor after doctor, blood test after blood test, and they would all conclude that I was fine, almost blushing about how perfectly healthy I was. It went on this way for a while, but the unsummoned tears continued, the voices in my head were getting more opinionated than my own voice. So I made excuses to hide from it. It was all beginning to be too painful to live with.

At this point I was already fancying myself as someone with some musical talent. I could often find a little poetry in me if I needed to. Kids in the neighbourhood thought I could rap and if, on a good day, I went to the mall with friends, I would spend all my time inside Radio Shack playing their little keyboards until they kicked me out for not buying.

My first songs were written in this condition. One song, called Voices In My Head, I remember writing during a particularly torturous anxiety attack. I had gotten the news of a Somali boy who was a friend in Toronto, leaping to his death from the 20-something floor of an old high-rise we once lived in.

Another song, a kind of a happy one actually, In The Beginning, was written and recorded on my way to check into the emergency room. A minor stop to a major event, I thought. In reality, all my life was in the minor key, but it was out of defiance that I wrote it all on major.

And where am I now? I suppose they’re right to say that I’m flying high. I was recently honoured with two Juno awards for these songs of desperation.

And at the moment, I’m writing this on a plane from China where I had just performed at the World Expo. But once again, it seems that the great balancing act is in motion. Somalia is worse now than it was when I left at age 13. And while my career has some mentionable highs, my romantic life is adorned with the quiet lows. So I suppose this all means more songs.

I didn’t turn out to be an optometrist. But I do hope that in some way, my music opens an eye or two, to a great continent of both immeasurable beauty and struggle. And to my own life, written as a country disguised as a person.
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Steve Jobs: How to live before you die | Video on TED.com

A cropped version of :Image:SteveJobsMacbookAi...Image via Wikipedia

Steve Jobs a co-créé Apple, puis créé Pixar, entre autres. Je vous invite à regarder cette vidéo, un discours d'une quinzaine de minutes qu'il livre à Stanford et que j'aimerais dédier à ceux d'entre nous (ils se reconnaitront) qui achèvent un cycle académique et qui graduent bientôt, Gi, NK, Yorda, Nora et les autres.

Nos échanges sont une source intarissable d'idées et de savoir à laquelle je m'abreuve régulièrement. Merci!

Stay hungry. Stay foolish.

Steve Jobs: How to live before you die | Video on TED.com
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