L’école élémentaire Sandy Hook, c'est un peu loin



D'après Corneille, chanteur canadien d'origine rwandaise qui a perdu une grande partie de sa famille lors du génocide de 1994, on a tendance à avoir une attitude passive quand la tragédie est loin.

"On regarde, 
On verse une larme sincère, on repart,
On compatit, on le pense sans y croire
On regrette, on répète nos histoires
Jusqu'à ce qu'il soit trop tard, on regarde."

Voici la liste officielle des victimes de la tuerie à l’école élémentaire Sandy Hook de Newtown au Connecticut le 14 décembre 2012, publiée par la police d’État du Connecticut et rendue publique en conférence de presse samedi. 

Pour eux, la fin du monde a bien eu lieu en décembre 2012. 

Je publie cette liste ici, pour qu'on se souvienne d'eux et qu'on pense aussi à "ceux à qui on ne pense jamais", les enfants de par le monde qui sont les victimes involontaires de conflits, de désastres et de folies. Je la publie pour que ce ne soit jamais "trop loin".

ENFANTS
Charlotte Bacon (fille), 6 ans
Daniel Barden (garçon), 7 ans
Olivia Engel (fille), 6 ans
Josephine Gay (fille), 7 ans
Ana M Marquez-Greene (fille), 6 ans
Dylan Hockley (garçon), 6 ans
Madeleine F Hsu (fille), 6 ans
Catherine V. Hubbard(fille), 6 ans
Chase Kowalski (garçon), 7 ans
Jesse Lewis (garçon), 6 ans
James Mattioli (garçon), 6 ans
Grace McDonnell (fille), 7 ans
Emilie Parker (fille), 6 ans
Jack Pinto (garçon), 6 ans
Noah Pozner(garçon), 6 ans
Caroline Previdi, (fille), 6 ans
Jessica Rekos (fille), 6 ans
Avielle Richman (fille), 6 ans
Benjamin Wheeler (garçon), 6 ans
Allison N. Wyatt (fille), 6 ans
ADULTES (toutes des femmes)
Rachel Davino, 29 ans
Dawn Hocksprung, 47 ans
Anne-Marie Murphy, 52 ans
Lauren Russeau, 30 ans
Mary Sherlach, 56 ans
Victoria Soto, 27 ans

Septième art

Si le cinéma est le septième art, quels sont les six premiers?

Entre 1818 et 1829, le philosophe Hegel distingue cinq arts, classés selon l'expressivité et la matérialité (du plus matériel et le moins expressif au moins matériel et le plus expressif):
- l'architecture
- la sculpture
- la peinture
- la musique
- la poésie.

Au XXème siècle s'ajoutent quatre autres arts pour donner ceci:

1- l'architecture
2- la sculpture
3- la peinture et le dessin (les arts visuels)
4- la musique
5- la littérature dont la poésie
6- les arts de la scène (théâtre, danse, mime et cirque)
7- le cinéma
8- les arts médiatiques (radiodiffusion, télévision, photographie)
9- la bande dessinée. 

Ricciotto Canudo, écrivain français d'origine italienne, transforme le système de Hegel en simple liste où les arts du temps (musique et poésie) font la synthèse avec les arts de l'espace (architecture, sculpture et peinture) et des arts corporels (arts de la scène). À la suite d'Apollinaire, de Gance, de Collette, de Meyerhold, de Maïakovski et des futurs surréalistes, il contribue à faire reconnaître au cinéma le statut d'art. 

Des poubelles de Monrovia à M.I.T.

Je viens de découvrir la vie de Kelvin Doe, un jeune inventeur sierra léonais de 15 ans. Kelvin récupère des objets dans les poubelles pour créer les piles, générateurs et autres appareils dont il a besoin pour générer l'électricité et fournir une station de radio à sa communauté. Son but: permettre à sa communauté de débattre d'idées les concernant et concernant leur pays. Kelvin a d'autres idées, bien entendu. Aidé par un étudiant au doctorat de la M.I.T., David Sengeh, Kelvin fait une tournée de trois semaines dans quelques universités de la côte Est des États-Unis d'Amérique.

Kelvin, que son entourage appelle DJ Focus, est fascinant de vision et d'ambition. kelvin rêve surtout d'aider sa famille. Son expérience rappelle comme il est important de promouvoir l'innovation dans les pays en développement et particulièrement en Afrique. Comme le dis David, son mentor, les solutions aux problèmes de leurs communautés et pour le développement doivent provenir de ces jeunes qui ont besoin de bâtir leur avenir, et non (uniquement) de l'aide des pays du Nord.



Le calme avant la tempête

Une très belle photo de New York, vue de Staten Island... quelques heures avant le passage de l'ouragan Sandy.

Photo: Chamime Osseni

Choix

Photo: UQÀM
Il y a quelques semaines, j'ai retrouvé une amie de longue date. Je l'ai "attrapée au vol", je l'ai surprise en plein déménagement car elle quittait l'Europe pour l'Océanie. Notre correspondance est courte, hachée par les mille et une activités de nos vies quotidiennes entre adaptation, recherche d'emploi et vies de famille et de voyage. Comment se redécouvrir, en ligne, après près de 20 ans de séparation? Je l'aime beaucoup et le jeu, à mes yeux, en vaut la chandelle. Mon amie semble partager mon enthousiasme car elle prend le temps de nourrir cet échange électronique. Il y a quelques jours, elle m'a demandé: "La question qui me vient concerne ton choix de pays de résidence: pourquoi le Canada? Surtout pour toi qui vient d'un pays chaud."

Il y a longtemps que je médite sur cette question. J'ai souvent expliqué mon choix par un désir égoïste de vivre dans un milieu où tout est plus "facile" et "accessible" que là d'où je viens. Cette réponse néanmoins me laisse insatisfait car je suis capable de vivre sans le "facile" et l'"accessible". La réponse est donc incomplète et j'ai répondu ceci, beaucoup plus proche de la vérité que la théorie du "choix égoïste", à mon amie.

"Tout a commencé parce que ma famille y voyait une meilleure opportunité que la France, mon premier choix parce que je vous y aurais tous retrouvé. La France sentait trop le roussi avec les histoires de racisme et de discrimination.  

Métro de Montréal 2012

Une fois sur place et mes études terminées, j'ai décidé de rester. D'abord parce qu'on s'attache à la terre qui nous accueille: Montréal m'a ouvert grand les bras. Amoureux des langues, j'ai pu parler fon et français, espagnol et anglais et j'ai pu, dans le même souffle, apprendre à parler japonais et arabe; j'ai marché sur les docks un soir et fréquenté des boîtes de nuit huppées le soir suivant. J'ai croisé des stars du cinéma, découvert d'une part le jazz et les filles et d'autre part l'importance de la foi, de l'écriture, de la famille et de la photographie dans ma vie; les nouveaux amis que je me faisais, voyageurs de passage, étudiants ou professeurs venaient de partout dans le monde, je n'avais plus besoin de voyager pour les rencontrer. Je me suis attaché à Montréal pour ces raisons, et donc un peu au Canada.

D'autre part, quelqu'un m'a dit il y a plusieurs années que je semblais toujours chercher quelque chose. Cette affirmation me hante toujours parce que j'ai peur qu'elle soit vraie. Si c'est le cas, j'ai besoin de me déplacer et de continuer à chercher. Quand fatigué de Montréal je suis enfin parti en vacances (et en quelque sorte, en exploration) en Europe et en Afrique, et que j'ai pris de la distance -au sens littéral et philosophique du terme- par rapport au Canada, j'ai réalisé que cette terre que j'avais ainsi une chance de fuir en m'installant ailleurs, correspondait parfaitement à ce dont j'avais besoin car elle était vaste et, en un sens, vierge. Ce pays me permettait d'explorer, de migrer, de bouger, de découvrir, en un mot de continuer ma quête sans avoir à quitter les frontières nationales. Je ne pouvais décemment pas m'éloigner des dix provinces et des trois territoires qui forment le Canada parce que je me sentais mal dans une ville, c'était trop bête. Connais-tu la fable de La Fontaine, le laboureur et ses enfants? Il me fallait chercher mon trésor ici d'abord. J'ai migré à Winnipeg et j'ai découvert le Manitoba, la Saskatchewan puis les autres provinces. Les années de bonheur que j'y ai vécu ont conforté mon idée qu'il y avait tellement de différences d'une région à une autre que j'aurais à peine de toute une vie pour faire le tour de ma nouvelle patrie. Au fil du temps, je découvre, comme les enfants du laboureur, que le bonheur est plus dans la quête que dans l'objet de cette dernière...

Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir
Le froid quant à lui ne m'a jamais dérangé. D'ailleurs, il a fait plus froid dans les plates Prairies canadiennes où le vent souffle encore plus fort, que partout ailleurs. C'est un peu comme dans une relation amicale, fraternelle, professionnelle ou amoureuse. Vu que personne n'est parfaite, on fait des compromis et parfois, on en arrive à aimer les défauts de l'autre car ils le rendent unique. J'ai vite compris que si je n'acceptais pas le froid -et donc ma terre d'accueil comme elle est, je n'avais qu'à retourner d'où je venais. J'ai compris que je n'avais pas à me plaindre et, surtout, après plusieurs années, j'ai compris que je pouvais faire mieux et même apprivoiser ce froid qui distingue si bien mon nouveau pays de tous les autres, en m'habillant bien et en faisant des activités d'hiver. Non, l'hiver ne m'a pas repoussé. Il m'a attiré au contraire car, comme tu l'indiques, je suis né dans un pays chaud. C'est ce que je ne suis pas, ce que je ne sais pas, ce que je connais mal, qui m'attire le plus. Nomade comme toi, petit pionnier des temps modernes, j'aime encore plus aller où personne autour de moi ne veut. 

Permets-moi, amie, d'utiliser cette lettre sur le blog que je tiens et par lequel je veux partager un peu de ce moi dont je viens de te livrer un pan. 

Bises, et à la prochaine question."

Moi, canadien de souche et champion de l'immigration pour... le futur de MES enfants



Comment devient-on un champion de l'immigration? Quelles motivations peuvent-elles justifier de se lancer dans la bataille pour cette "cause" et de vouloir, noblement, aider réfugiés, immigrants économiques, sociaux et autres migrants, à s'installer chez soi?

Au Canada, l'enjeu de la taille et de la croissance de la population est d'abord économique. L'indice synthétique de fécondité est passé de près de 4 enfants par femme au début des années 1960 à 1,49 enfants par femme en 2000 et 1,7 en 2009. Le mode de vie urbain trépidant, la place de la femme sur le marché du travail et les crises économiques ne facilitent pas l'accroissement naturel. Il faut donc, pour accroître la population active, compter sur l'immigration. Pourquoi? Parce que la population active soutient par ses taxes et ses impôts le gouvernement, les jeunes et les personnes âgées. C'est donc, du point de vue du gouvernement canadien une question de survie nationale.

D'autre part, une infime partie -décroissante avec les nouvelles politiques d'immigration- des immigrants sont acceptés pour des raisons "humanitaires" et viennent désormais surtout ... des pays d'Afrique et d'Asie.

Art DeFehr, homme d'affaires manitobain est décrit par le Globe and Mail comme un champion de l'immigration. Cependant c'est la motivation profonde de DeFehr qui me laisse pantois, ce n'est pas son expérience des camps de réfugiés ni son désir d'aider ces derniers mais le désir de garder ses enfants auprès de lui au Manitoba qui lui a fait contribuer à créer une province qui vibre et qui attire. En somme, encore une fois, l'immigrant n'est qu'un payeur de taxes qui contribue au bien-être économique du pays.

 C'est clair qu'il y a des avantages pour celui-ci. Un pays tranquille, des lois qui sont respectés, la relative sécurité, la possibilité d'élever sa famille en paix, d'envoyer de l'argent au pays et de travailler. Mais à quel genre d'emplois les immigrants peuvent-ils vraiment aspirer? Quelles sont leurs chances d'occuper des fonctions de choix au sein des entreprises et des administrations? Quel pourcentage d'entre eux réussit vraiment à se tailler une place de choix dans l'univers professionnel de leur pays d'accueil et à quel prix? Les histoires à succès d'immigrante devenue Gouverneure Générale du Canada et de "parcours réussis" sont une infime minorité comparé à celles de titulaires de doctorats et de médecins devenus chauffeurs de taxi. Il y a d'ailleurs surreprésentation des immigrants au sein de cette profession comme le démontre une étude de Citoyenneté et immigration Canada: "La conduite d’un taxi s’est avérée être l’emploi principal de 255 personnes titulaires d’un doctorat
ou d’un diplôme en médecine (ou un domaine connexe), dont 200 immigrants. Des 6 040 autres
chauffeurs de taxi qui détiennent un baccalauréat ou une maîtrise (12 %), la majorité sont
immigrants (80,7 %). En outre, parmi tous les chauffeurs de taxi immigrants, 20,2 % ont au
moins un baccalauréat; ce taux est quatre fois moins élevé chez les chauffeurs de taxi nés au
Canada (4,8 %)."


Ici non plus ce n'est pas facile, cousine

Le Manitoba - source Wikipedia

Il y a quelques années, j’ai invité une amie de Cotonou à me rejoindre dans la vallée de la Rivière Rouge ou j’habitais. La rivière Rouge est une rivière d'Amérique du Nord qui marque la frontière des États du Minnesota et du Dakota du Nord. Elle a de particulier qu'elle se jette dans le lac Winnipeg situé dans la province du Manitoba, au Canada. Il ne faut pas la confondre avec la rivière Rouge du Québec.  

Mon amie m’a expliqué qu’elle voudrait bien venir me voir mais que cela coûtait encore plus cher d’acheter un billet du Bénin vers le Canada que l’inverse. Voici ce que j’ai répondu :

« C'est un mythe basé sur l'idée que cela prends plus de francs CFA (FCFA, la monnaie utilisée en Afrique de l'ouest) pour faire un dollar, et que comme on vit en dollars, c'est plus facile. Seulement, tu ne connais peut-être pas le coût de la vie ici. Nous gagnons plus (en FCFA) mais dépensons également plus: un hamburger au McDonald coûte 4$ soit 2.000FCFA sur une base de 1$/500FCFA. Combien coûte un burger à Cotonou? N'est-ce pas le même ordre de prix?

Pour un salaire annuel net de 20.000$ (10.000.000FCFA) si tu dois payer ton appart à 600$ mensuel ou 7200$ annuel (3.600.000FCFA) l'eau, l'électricité et le chauffage 75$ mensuel ou 900$ annuel (450.000FCFA) et le transport en commun 100$ mensuel ou 1200$ annuel (600.000FCFA), le panier de bouffe (500$ mensuel ou 6000$ annuel ou 72.000FCFA) il te reste exactement 4700$ (2.350.000FCFA) pour l’année soit 391$ (195.500FCFA) par mois pour payer le téléphone cellulaire, la télé, quelques sorties, tes études supérieures (entre 600$ (300.000FCFA) et 2000$ (1.000.000FCFA) par cours pour un programme de 10 cours). Déjà là, tu t'endettes…

Alors, comment aller au Bénin, à 2.000$ (1.000.000FCFA) le billet plus les dépenses sur le terrain, sans compter que tu continues de payer ton loyer et autres frais ici. Ces calculs sont basés sur le cout de la vie dans une ville moins chère. Essaie Toronto ou Vancouver...

Ce n'est pas facile ici non plus, cousine... »

Mes calculs étaient rapides, et peut-être grossiers. J’ai essayé de brosser un portrait de la vie d’une partie de la Diaspora, celle qui souffre de ne pas pouvoir rester aussi connectée qu’elle le voudrait au Continent. J’ai essayé de démontrer qu’ici comme ailleurs, la vie est un champ de bataille quotidien et que peu importe où on est, l’argent reste le nerf de la guerre qu’on y mène pour survivre. J’espère y être arrivé. Qu’en pensez-vous ?

Comment l'Afrique en est arrivée là


Voici l'intégral d'une interview accordée à Philippe Perdrix de Jeune Afrique, (édition du 25-31 mars 2012) par une auteure d'origine camerounaise, Axelle Kabou. Sa vision du développement de l'Afrique est critique et elle nous pousse à regarder au delà des indicateurs économiques qui prouvent que les choses vont mieux sur le continent mère. D'autre part, Axelle Kabou remonte le temps pour expliquer, par exemple, les crises politiques contemporaines. Elle vient de publier "Comment l'Afrique en est arrivée là" chez l'Harmattan (collection Points de vue), qui suit son premier livre, "Et si l'Afrique refusait le développement".

Depuis plusieurs années, la question du retour vers l'Afrique me titille le subconscient. Mais je résiste à l'idée de l'élaborer pour des raisons aussi superficielles que personnelles. Au-delà de ces raisons cependant, la soudaine "croissance", le soudain "boom" économique et les soudaines perspectives alléchantes vantées dans les médias ces dernières années me dérangent. J'en ai entendu parlé et j'ai lu sur la question, mais lors d'un voyage en Afrique en 2010, je n'ai pas aimé ce que j'ai vu. La pauvreté est toujours rampante, elle est partout, la corruption règne en maître et surtout il y a, dans les classes moyennes et malgré des conditions de vie enviables, un certain désespoir. C'est encore, à mes yeux, la loi de la jungle, manger ou être mangé, à moins qu'il ne s'agisse de l'expression du capitalisme. Je sais que je mélange tout, mais je n'ai pas vu de progrès sur le plan social... Peut-être y suis-je resté trop peu de temps (trois semaines)? Quoi qu'il en soit, je suis surpris de ces propos d'Axelle Kabou qui font écho à ma perception et à mon scepticisme: c'est bien qu'il y ait plus d'immeubles, plus de jeunes et plus de voitures, mais il y a aussi plus de pauvres pour qui les états font si peu.


Le développement de l’Afrique est-il possible ? Quelle est la place de l’intellectuel africain ? Voilà deux questions qui taraudent les esprits de plusieurs analystes. Axelle Kabou, de nationalité camerounaise, émet une analyse sans complaisance : elle est pessimiste. Sans nier les bons résultats économiques du continent, l’intellectuelle camerounaise s’insurge contre ceux qui évoquent des «lendemains radieux». Elle l’affirme avec force dans son dernier essai, Comment l’Afrique en est arrivée là. Lionel Zinsou, un intellectuel béninois, lui, est optimiste. Il est persuadé que «l’Afrique est la Chine de demain». Le débat est lancé.


Jeune Afrique : Depuis la sortie, en 1991, de votre livre «Et si l’Afrique refusait le développement?»qui avait suscité une vive polémique, pourquoi êtes-vous restée silencieuse?

Axelle Kabou : Car, je ne suis pas un écrivain. Je suis une personne qui lit énormément et qui ressent le besoin à un moment donné de partager des connaissances sur des sujets qui l’empêchent de dormir; en l’occurrence le passé de l’Afrique et ses trajectoires possibles dans le futur.

Avez-vous été affectée par les attaques dont vous avez fait l’objet ? On vous a quand même accusé de dépeindre une Afrique incapable de se développer …
Non. D’ailleurs, je n’ai pas répondu aux attaques et personne n’a jamais lu une contre-tribune d’Axelle Kabou. Je comprends que l’on puisse détester ce que j’écris, mais j’essaie aussi de comprendre pourquoi ce livre a suscité une telle haine. En fait, il y a eu un profond malentendu, car beaucoup ont considéré que mon ouvrage était académique. C’était plutôt un pamphlet. Mais il ne s’est jamais agi pour moi de décrire des tares congénitales. L’Afrique a toujours été capable de mobilité, de progrès, d’évolution et d’intelligence. Etant de culture française, je pensais que ma liberté d’expression était un acquis. Mais on m’a reproché de ne pas être Africaine, d’être une étrangère s’occupant de choses qui ne la concernaient pas.

En 1991, vous expliquiez que le sous-développement du continent était essentiellement dû aux mentalités et aux cultures africaines. Cette fois, vous prétendez que sa marginalisation repose sur sept mille ans d’Histoire. Sauf qu’entre-temps, on ne parle plus de sous-développement mais de pays en voie de développement, voire, pour certains, de pays émergents. N’avez-vous pas le sentiment d’être à rebours ?
Mon livre parle des difficultés permanentes de l’insertion des économies africaines dans le monde. Il y a deux façons d’envisager l’histoire des sociétés. Soit on considère qu’elles émergent du vide, et alors on parle en apesanteur, on produit des discours éthérés et on divague. Soit on considère que seule une perspective longue, chère à Fernand Braudel, permet de comprendre leurs évolutions. Il va de soi que je préconise la seconde démarche.

D’accord pour l’approche, mais l’Afrique est en plein décollage, et de nombreux indicateurs l’attestent (forte croissance, baisse de la pauvreté, augmentation des investissements étrangers, apparition d’une classe moyenne…). La situation est-elle aussi grave qu’en 1991 ?
Oui, elle l’est. Les économistes monopolisent les discours sur l’Afrique et alignent des statistiques pour prétendre qu’elle est en train de s’en sortir. Ils commettent leurs crimes habituels. Mais si on interroge des historiens, des sociologues et des politistes, on s’apercevra que nous traversons un scénario très classique. Aux XVIe et XVIIe siècles déjà, la côte sénégambienne, avec sa bourgeoisie entreprenante, très intégrée au commerce mondial, connaissait une forte croissance. Pour quels résultats? Dans les cénacles où l’on discourt sans fin sur l’Afrique, on préfère nier les crises, les massacres, les pogroms … Il faut être solaire. Je refuse d’entrer dans un temple solaire. Tirer des prospectives radieuses sur la base de trois ou quatre indicateurs est insupportable. C’est du clinquant. Cette afro-ferveur m’insupporte, car c’est de la paresse.

La solitaire de Brest
C’est depuis la pointe du Finistère, à Brest, que Kabou a écrit Comment l’Afrique en est arrivée là. Elle habite en Bretagne depuis huit ans avec sa famille. Elle fait des traductions et assure la révision de rapports internationaux après avoir effectué de longs séjours au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Zimbabwe, notamment comme consultante pour différentes organisations internationales. Avec son mari, un Franco-sénégalais travaillant à Addis-Abeba à la Commission économique pour l’Afrique (CEA), elle effectue également des allers-retours entre la France et l’Ethiopie. «Axelle la maudite», depuis son essai Et si l’Afrique refusait le développement?, publié en 1991 chez Harmattan, n’a donc pas lâché l’Afrique.
Tout juste consent-elle à avouer un «dépit amoureux». Les coupures d’électricité, les tracasseries de la vie quotidienne…, mais sans doute aussi le conservatisme de sociétés traditionnelles, ont eu raison de sa patience. Cette personnalité troublante, «de culture française mais attachée au Cameroun», ne laisse pas indifférent. Les éclats de rire sont francs, les embardées rhétoriques pleines de malice, mais la charge est virulente lorsqu’il s’agit de dénoncer l’afro-ferveur: «Une paresse qui m’insupporte».
PH.P.
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Niez-vous le décollage économique actuel ?
Non, il est indéniable. Chaque fois qu’il y a une redistribution des cartes à l’échelle mondiale, l’Afrique est invitée à y participer en apportant des hommes et des matières premières. Mais son rôle est subalterne, et ce mode d’arrimage perdure. En fait, l’Afrique est reconvoitée. Il suffira que la donne économique mondiale change pour qu’elle retombe dans l’oubli, la misère et les tréfonds de l’Histoire. Ce qui se passe aujourd’hui n’est pas le fruit d’une conquête africaine. L’Afrique reste larguée.

A ceci près qu’aux XVIe et XVIIe siècles, l’Afrique ne comptait que quelques dizaines de millions d’habitants; aujourd’hui, c’est plus d’un milliard. Certains analystes, comme Jean-Michel Severino dans son livre Le Temps de l’Afrique ou Lionel Zinsou(lire pp. 35-37), parlent d’un bonus démographique. Pourquoi ne pas croire à ce scénario ?
Sacraliser la démographie en ignorant les interactions entre plusieurs facteurs, c’est faire du
«démographisme» mercantile. Il est plus probable que ces dynamiques actuellement à l’œuvre, dans des espaces difficilement «territorialisables», provoquent des conflits.

Vous reprenez la théorie darwinienne…
Cela s’est toujours passé ainsi. Quand il y a concurrence pour des ressources, il y a des guerres.

On peut avoir une autre lecture. En 2050, l’Afrique disposera du quart de la population active mondiale, n’est-ce pas un formidable levier pour créer de la richesse ?
Non, car l’Afrique ne dispose pas du socle nécessaire. Les rapports à la connaissance, la science et l’éducation sont extrêmement diaphanes. Pour qu’une dynamique d’exploitation des savoirs se mette en place, quelques décennies ne suffiront pas. De ce point de vue, 2050 me paraît être un horizon extrêmement court, et cela ne se fera pas sans convulsions. Le temps de l’Afrique n’est pas encore venu. Il y a des signes positifs, mais ce sont des pépites dans un fleuve qui rebrousse chemin.

Vous parlez même d’une continuité de la traite négrière jusqu’aux comportements de prédation économique d’aujourd’hui…
Absolument. L’Afrique a toujours eu des entrepreneurs innovants, mais les héritages historiques sont prégnants. Nous ne sommes pas sortis de traites négrières et d’économies de comptoirs. Ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire l’illustre à merveille. Ouattara et Gbagbo sont des «seigneurs de guerre» qui visaient le pouvoir et le contrôle de la terre en nouant des alliances avec des étrangers. Les sociétés africaines ont sécrété des pouvoirs prédateurs. Nous n’avons pas de classes dirigeantes capables de nouer des pactes avec les populations pour créer de la richesse, mais des couches dominantes qui accaparent les ressources naturelles avec le concours de l’extérieur.
Cette connexion au monde n’a pas varié, et cette matrice reste valable. Plus grave, ce processus s’est aggravé avec une insertion croissante dans les réseaux internationaux maffieux.

La prédation et l’exploitation seraient donc dans les gènes africains ?
Je ne suis pas biologiste. On peut supposer que nous passons d’une économie d’extraction à une économie d’accumulation d’une économie de prédation à une économie de production, mais l’issue est incertaine. La direction peut être heureuse ou tragique. Et cela ne relève pas de l’ingénierie sociale et politique.

A propos de corruption et de criminalisation des économies, voire des Etats, bien d’autres pays à travers le monde démontrent que ces dysfonctionnements ne sont pas forcément un frein au développement …
Oui, lorsque l’argent récolté ou détourné est réinvesti sur place, qu’il permet de mettre les gens au travail et de produire de la richesse endogène.
Vous ne croyez pas aux bienfaits des politiques publiques, à la bonne gouvernance, à la démocratie …
C’est le hasard qui est au pouvoir en Afrique. Il n’y a pas de dirigeants, ni de démocratie. Les élections ne sont même pas financées par les Africains.

En vous écoutant, on arrive à se demander si vous ne donnez pas raison à Nicolas Sarkozy, qui estime que «l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire»…
Dans un cas, nous sommes dans la pipolisation d’un discours. Dans mon cas, je cherche à mieux comprendre les trajectoires africaines. Cela n’a rien à voir. Je ne crois pas à l’immuabilité du continent. Simplement, il est impossible de prédire l’avenir. L’Afrique peut être le continent de demain, elle peut être aussi une terre de massacres et de guerres. Ce n’est pas une prospective paresseuse qui permettra de trancher.

L’Afrique n’est donc pas condamnée …
Il n’y a pas de peuples condamnés. Nous fabriquons tous notre histoire, mais ce qui peut se passer est incertain. Les présupposés qui permettent de mettre en scène une Afrique radieuse sont branlants et suspects.

Je Wanda!

J'hallucine! Je découvre enfin le visage derrière cette page Facebook que j'aime tant et le site web qui en a découlé. Je Wanda!, c'est un espace qui permet à la jeune diaspora et aux africophiles de rester connectés au continent mère. On y parle de culture, de société et de technologie et d'une image positive de l'Afrique afin de provoquer un"retour des forces vives" (par opposition à "la fuite des cerveaux"). Je suis dépassé! Merci Céline!

Pauvres européens!

Source: www.anarkismo.net
Encore hier, j'ai été frappé par l'annonce de manifestations en France. Les syndicats s'indignent face aux mesures d'austérité décrétée par le président François Hollande. "pour l'emploi, contre l'austérité" disent les manifestants et pour Jean-luc Melanchon, député européen, la France se dirige vers une profonde tension sociale. Il y a aussi des manifestations en Grèce, contre le régime imposé par l'Allemagne, la plus forte économie européenne du moment, et la situation n'est guère enviable en Espagne et en Italie où le taux de chômage ne cesse de croître.

Ces mesures sont-elles la solution ou ont-elles des effets pervers dont il faut se méfier? Les peuples en souffrent. Comme le dit Aminata Traoré, ancienne ministre de la Culture au Mali dans Le viol de l'imaginaire, "l'ajustement structurel est au corps social ce que le virus du sida est au corps humain: il fragilise par des réformes économiques inopportunes, à tel poing que les défaillances qu'il aurait dû être en mesure de gérer prennent des dimensions dramatiques, d'autant plus que les solutions prônées sont externes."

Source: le Huffington Post
J'ai vérifié auprès d'une amie économiste, que comme je m'en doutais, ces mesures se rapprochent de celles imposées par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale aux pays d'Afrique durant les années 1990. De mémoire, ces mesures d'ajustement structurel comprenaient entre autre des dévaluations, des mesures contraignant la marge de manoeuvre des banques centrales et le commerce exterieur. Il y a eu des émeutes ailleurs, Maroc, Zimbabwé, Tunisie, Niger, mais je n'ai pas le souvenir de soulèvements populaires au Bénin par exemple. Je me souviens d'un sentiment général de déception et de résignation face aux licenciements et à la privatisation, au gel des salaires, à la baisse des budgets des services sociaux et face au coût de plus en plus élevé de la vie. Mon amie m'a rappelé qu'il y avait déjà (et qu'il y a toujours d'ailleurs) beaucoup de gens dans les rues. Ils étaient pauvres et ils mendiaient.

En Europe aujourd'hui, on dirait que c'est le réveil brutal des classes moyennes habituées à un certain confort qui les pousse à manifester. La chute du niveau de vie que provoque la crise est plus douloureuse que pour les classes moyennes de pays pauvres déjà habituées à vivre modestement. Cette politique d'austérité entraînera sans doute les douloureuses conséquences énumérées plus haut. 

Afrique, Canada et corruption

Source: Lalatiana Pitchboule: Madagoravox
Ici chez nous (au Canada), chaque province est gérée de façon autonome. Il y a un premier ministre, un cabinet, un parlement provincial et des députés.

Hier soir aux nouvelles, j'apprends qu'un important entrepreneur en construction était devenu "proche" de la vice-première ministre du Québec d'alors, Nathalie Normandeau - qui a démissionné l'automne dernier. Lino Zambito lui aurait envoyé des fleurs pour son anniversaire, des billets de spectacle et aurait organisé des soirées-bénéfice pour son parti, soirées permettant de récolter des centaines de milliers de dollars et durant lesquelles des stratagèmes étaient utilisés pour contourner la loi sur la limite d'argent qu'un particulier peut donner à un parti (3.000$). Lino Zambito croit ainsi faire du "développement des affaires" car son entreprise, Infrabec, reçoit des contrats publics et être proche de la ministre représente un atout certain. À la Commission Charbonneau qui siège actuellement, Zambito témoigne et éclabousse le Parti libéral du Québec et partout, on crie à la corruption du pouvoir public au Québec.

En quoi, cependant, cette corruption est-elle différente de celle décriée et condamnée tant de fois dans mon Afrique chérie? En 2011, Transparency International note que le Botswana et le Rwanda sont les seuls pays africains qui figurent parmi les 50 pays les moins corrompus du monde. Le problème en Afrique semble plutôt structurel: «le népotisme, les pots-de-vin et le clientélisme étaient si profondément ancrés dans la vie quotidienne que même les lois anti-corruption existantes n’avaient que peu d’effet» explique l'ONG.

Mais quelle qu'en soit la cause, le mal est le même. La place du Canada changera t-elle dans leur prochain classement?

Dures lois

Suite à mon billet précédent, je suis tombé sur cet entrefilet qui démontre le durcissement des politiques d'immigration. Il s'agit de l'expulsion d'une femme cleptomane accusée d'avoir volé pour 80$ à 85$ de biens dans une épicerie en 2009. Alors qu'elle a vécu au Canada depuis 1964, et, comme l'indique une téléspectatrice, y a payé ses impôts toutes ces années, Madame Jeannine Poloni risquait l'an dernier de devoir quitter le pays.

J'ignore si elle est vraiment partie.

On pourrait sauter aux conclusions et parler des défaillances du système, mais le problème est un peu plus complexe qu'on ne pourrait l'imaginer. Pendant les 47 ans passées au Québec, madame Poloni, résidente permanente, n'a pas obtenu sa citoyenneté canadienne parce qu'elle avait un casier judiciaire. Elle avait été, en effet, arrêtée plus d'une dizaine de fois pour vol à l'étalage. C'est à cause de son statut et de la gravité de son crime (tout crime condamné à plus de plus de six mois est considéré comme un crime grave) qu'elle risquait l'expulsion, les résidents permanents pouvant être expulsés s'ils commettent des crimes  graves.

Mais alors, comment obtenir sa citoyenneté canadienne et éliminer ce risque, lorsque résident permanent, on a un casier judiciaire?



Le ton semble s'être durci ces dernières années parce que des solutions plus "humanitaires" auraient pu être trouvées dans le cas d'une personne qui vit au Canada depuis plus de 40 ans. Surtout quand on pense aux cas de membres de gangs arrêtés en possession d'arme, accusés de crimes graves, mais à qui on accorde un sursis. Toutefois, n'ayant pas toutes les données de cette affaire, ne sautons pas aux conclusions...

Le Canada, de moins en moins accueillant?

Sommes-nous les citoyens actifs que nous devrions être? Agissons-nous assez, nous informons-nous suffisamment? Il semblerait qu'au Canada nous nous contentions un peu trop de nos acquis et ne prêtons plus attention aux changements majeurs que subit notre société.

Depuis quelques années, la politique d'immigration prônée par le gouvernement canadien change drastiquement. Des pouvoirs accrus sont offerts aux ministères et des lois omnibus permettent de faire des changements sans les vérifications et l'avis du parlement. Pourtant, ces changements pourraient avoir un impact profond sur le tissu social et économique de notre pays ainsi que sur la perception de ce dernier par les immigrants potentiels.

Certains changements semblent bénéfiques: insister sur la maitrise des langues officielles par exemple. D'autres changements ne semblent pas justifiés mais basés sur des anecdotes et les cas d'abus, plutôt que sur de la recherche. Enfin, l'exécution et l'implantation de certaines de ces nouvelles règles peut être problématique.

La Fondation Maytree qui fait la promotion de l'équité et de la prospérité à travers ses analyses politiques, ses subventions et ses programmes, propose un dialogue avec le public sur le genre de Canada que nous voulons et comment se servir de la politique d'immigration pour y arriver. Elle propose de s'assurer que certains principes guident ce dialogue. D'après le rapport publié par la Fondation, la politique d'immigration devrait:

- être basée sur des objectifs sociaux et économiques à long terme et sur un engagement à la citoyenneté;
- être  basée sur des faits et des évaluations, être juste et respectueuse des droits de l'homme;
- être développée sur la base d'un engagement du public, des consultations fédérales-provinciales-territoriales et un processus démocratique;
- améliorer la perception du Canada à l'étranger.

Ceci dit, dans les systèmes démocratiques que nous prônons, la politique (en anglais politics) ne semble t-elle pas aller à l'encontre du bien-être économique et social à long terme d'une population? Comment demander à des élus qui ont un mandat de quatre à cinq ans, de développer une vision à long terme?

Et si, au Canada, mettons qu'ils le faisaient justement, et que leur vision est de changer la perception et la réputation du pays? Dans de telles conditions, on comprendrait mieux et on pourrait s'expliquer la rapidité et la profondeur des changements que subit notre politique (en anglais policy) d'immigration.

Migrations et célébrations

D'une part, il y a Marie*. Sa spécialité: le réseautage. Je ne l'ai rencontrée qu'il y a un an mais durant les huit mois qu'a duré notre collaboration, elle m'a tiré d'affaires bien des fois, me mettant en contact avec des membres de la haute direction du ministère où je travaillais lorsque j'avais le plus besoin de leur appui. Elle m'a permis de retrouver espoir, quand les cieux semblaient m'avoir abandonné. J'ai quand-même perdu la bataille -et mon emploi- mais je n'oublierais jamais les leçons de Marie sur l'importance de prendre le temps de remercier les autres, de les écouter, d'apprendre à les connaître et de toujours leur rendre un service, justement, quand on leur en demande un.

D'autre part, il y a Gina*. Je ne l'ai rencontrée qu'une fois, il y a neuf mois, à une conférence de jeunes professionnels, mais elle était tellement gentille que je n'ai pas cessé d'essayer de la revoir. J'ai été autant séduit par sa nature amicale et généreuse que par le tempérament calme et posé de son fiancé qui assistait au même évènement. Depuis, je lui ai écrit, je leur ai écrit, en vain. Bien que nous soyons "connectés" sur Facebook, je n'ai plus de contact avec Gina ni son fiancé. Une intuition profonde me pousse cependant à rester patient et à persévérer. Un jour peut-être me répondront-ils?

Il y a plusieurs points communs entre Marie et Gina. J'ai rencontré l'une et l'autre dans le cadre de mon travail. Elles sont toutes les deux employées du gouvernement fédéral. Leurs conjoints le sont également. Mais au-delà de ces similitudes que partagent des milliers de personnes, il y a qu'elles se sont toutes les deux mariées en septembre 2012. Elles étaient sublimes dans leurs robes, rayonnantes au milieu de leur entourage et paraissaient comblées. Elles ont en commun que cela m'a profondément troublé.  Je m'explique.

Photo: Amalia Grey
Un des problèmes majeurs des nomades et des migrants permanents, c'est la quantité et la qualité des liens qu'ils peuvent tisser autour d'eux. S'ils ne repassent pas régulièrement par les mêmes endroits, s'ils ne revoient pas périodiquement les mêmes gens, il leur est impossible de tisser des liens profonds et durables car un des ingrédients essentiels pour cela, c'est le temps. Il faut passer du temps avec les personnes pour apprendre à les connaître, les apprécier, les aimer et les détester. Il faut du temps pour se réjouir ou souffrir ensemble, il faut du temps pour partager ou se battre. Il faut du temps pour devenir amis. Vrais amis.

Les amis du nomade global que je suis devenu se trouvent aux quatre coins du monde. Ils vivent entre Milan, Cotonou, Hong Kong, Tananarive, Madrid, Basse-Terre, Riobamba, Montréal, Los Angeles, Winnipeg et ailleurs. Gatinois depuis un peu plus d'un an, je commence à peine à tisser les relations profondes de la qualité de celles qui ont semé mon parcours.

J'ai une telle estime pour Marie et pour Gina que j'aurai aimé assister à leurs mariages. J'aurai aimé célébrer ce moment magique avec elles, graver leur bonheur sur le film ou sur l'écran de mon appareil photo, rencontrer leurs familles et leurs amis, applaudir et danser avec eux. J'aurai été profondément touché si elles avaient compris mon attachement.

Cependant, outre le fait que nos relations n'étaient que professionnelles, il faut aussi compter avec les limites des budgets de tels évènements. De plus, comment expliquer que j'ai appris, à force de trimbaler mes bagages d'un pays à l'autre, à faire confiance au sixième sens qui me guide vers les personnes avec qui je m'entends bien et à me lier très rapidement? Comment expliquer qu'elles peuvent me faire autant confiance qu'aux proches qui ont toujours fait partie de leurs vies, alors que j'y débarque à peine? Enfin, comment expliquer que je regrette de ne pas être présent pour mes amis qui habitent à Milan, à Cotonou, à Hong Kong, à Tananarive, à Madrid, à Basse-Terre, à Riobamba, à Montréal, à Los Angeles, À Winnipeg ou ailleurs et que j'aimerais participer aux célébrations des événement heureux ou moins heureux de ceux qui vivent dans la même ville que moi, comment le dire sans paraître égoïste?

*Prénoms d'emprunt

Racontez-moi une histoire (Tell Me A Story)

Tell Me A Story est le titre du billet d'Andrea Dyck, conservatrice des cultures modernes et de l'immigration au Musée du Manitoba. Andrea est responsable de la recherches, des collections et des expositions qui ont trait aux nouveaux arrivants au Manitoba depuis la deuxième guerre mondiale.

Andrea est en charge de mettre à jour la collection des histoires d'immigrants recueillie du début du 20ème siècle aux années 70. Elle va parler à des groupes d'immigrants philippins, éthiopiens, mais aussi allemands et mexicains. Ces communautés sont arrivées à différentes périodes et il serait très intéressant d'entendre les histoires que leurs membres ont à raconter.

Déporté

Un cas de déportation attire l'attention dans les nouvelles cette semaine, celui de Beyan Dunoh Clarke reconnu coupable pour le meurtre d'un enfant de deux ans. Six ans après le triste évènement, la Cour a jugé Clarke comme étant dangereux pour le public canadien et ainsi ouvert la porte à la règle de la Convention de Genève pour les réfugiés qui permet sa déportation vers le Liberia dont il s'est enfuit en 1999.

Le cas est présenté dans les nouvelles, entre autres ici.

Togo-Bénin-Canada: histoire d'un réfugié

Dans sa série sur les nouveaux arrivants, l'émission de Radio-Canada "Ici l'été" présente Akakpo Kpalete, 64 ans, un canadien d'origine togolaise qui s'est réfugié au Bénin pendant 15 ans avec sa famille, à cause des remous politiques dans son pays natal.

Parti en mars 1993, il franchit d'abord une distance de 50 kilomètres à pieds jusqu'à Aneho, une ville voisine où il transite pendant deux ans. Puis, au Bénin, il se réfugie dans une mission catholique qui prend également en charge ses enfants. De 1995 à 2010, Caritas, la Croix-Rouge et le Haut Commissariat pour les Réfugiés vont jouer un rôle important dans sa vie.

Arrivé au Canada le 16 juin 2010, il est agréablement surpris par l'accueil qui lui est réservé. Très vite sa famille s'installe et s'adapte. Aujourd'hui, malgré la noyade d'un de ses fils l'an dernier, M. Kpalete qui s'est installé à Gatineau, entrevoit un avenir radieux au Canada.


IDM rencontre: la Garderie Ponpon Daycare




L'entreprenariat est une option viable pour les nouveaux arrivants dans un pays, quant il s'agit de trouver un emploi. S'ils n'ont pas été formés dans le pays d'accueil, leurs acquis académiques sont difficilement reconnus et ils doivent bien souvent se reconvertir dans des professions différentes de celles pour lesquelles ils s'étaient formé. IDM a choisi de jeter un regard particulier à cette solution à l'emploi.

La garderie Ponpon est une entreprise privée qui fascine de par sa taille (80 places) et de par l'ambition de ses propriétaires. En général, les services de ce genre sont offerts au privé par des familles qui, c'est la loi, peuvent garder chez elles 6 ou 7 enfants tout au plus. L'industrie est également majoritairement dominée par les femmes. Pour les soeurs Kenny Joyce et Tamara Calci, l'opportunité s'est présentée sous forme de besoin pour l'une et de capacité pour l'autre. Elles ont vu plus grand en se lançant en affaires et décidé d'offrir des services à un plus grand nombre d'enfants en mettant l'emphase sur une meilleure qualité pour rentabiliser l'affaire.

Combinant le sens des affaires-justement- et l'expérience de la première avec les connaissances techniques de la deuxième, elles ont créé la Garderie Ponpon Daycare en 2011 à Aylmer, une des villes qui forme la grande ville de Gatineau, en Outaouais, dans la Région de la capitale nationale du Canada.

Bien que cette région qui fait frontière entre le Québec et l'Ontario favorise l'entreprenariat, le projet a mis trois ans à se concrétiser. C'est que les services à la petite enfance sont très règlementés au Canada et au Québec en particulier. Il faut s'armer de patience et persévérer et... ne pas être seul pour franchir toutes les étapes du lancement d'un tel projet. Outre le désir et la passion pour ce type d'entreprise, c'est justement un système de soutien et un réseau solides qui ont permis à Kenny et à Tamara de réussir. Ce sont d'ailleurs là, au-delà de l'opportunité, les ingrédients principaux qu'elles recommandent pour le succès de toute entreprise: la passion et un système de soutien sans faille.


D'Abidjan à Aylmer


Contribution spéciale de Fatymah

Fatymah est arrivée en Outaouais au Québec en janvier 2012 avec son mari et ses deux garçons. Dans cette lettre adressée à une amie qui vit dans son pays d'origine, Fatymah décrit une partie de son quotidien et parle des défis liés à l'intégration et à l'éducation des enfants dans une famille immigrante.


Ma très chère amie,

J'ai passé une agréable journée qui pourtant, se termine sur une note de tristesse. J'ai dit au revoir, ou plutôt adieu, à certaines personnes avec lesquelles j'ai passé de bons moments et que je ne reverrai plus.

Ma journée a commencé avec la dernière activité de la « classe des Chevaux », l'année scolaire s'achève la semaine prochaine. J'assistais mon cher Pierre-Yves, qui est la vedette de sa classe pour la semaine. Je me suis rendue compte que ses amis ont tous grandi, qu’ils suivent tous bien les consignes de la prof et que mon fils a trouvé sa place dans ce groupe. J'ai assisté à un exercice de préparation à la classe suivante, la première année. Eh oui! Les enfants ne sont plus des « bébés lala ».



C’est couchés sur le sol qu’ils ont fait l’exercice de l'écriture, pour muscler leurs dos, ce qui n’a rien à voir avec le « b-a-ba » de notre temps. Chaque élève devait dessiner les passagers d'un train selon les consignes lues par la maitresse. Pour les bavards comme Pierre-Yves, pas de pieds au mur, pas de « va au coin », mais plutôt des minutes d'atelier perdues. Les pauvres avaient l’air tout tristes de regarder leurs amis jouer en attendant leur tour.

C’est à contrecoeur que j'ai dû les quitter pour me rendre au party (1) du Centre action bénévole d'Aylmer qui met fin aux activités de l'année. De mars à juin, J'ai fait du bénévolat 5h par semaine auprès des personnes âgées. Autre lieu, autre décor. Retrouvailles chaleureuses avec mes collègues bénévoles dont une mauritanienne à l'accent ivoirien et une béninoise nouvellement rencontrée. Les pièces ont été décorées pour l'occasion, nous (bénévoles et personnel du centre) avons accueilli les membres dans la bonne humeur. Beaucoup d'absents, je crois que tout le monde n'aime pas les au revoir. Au menu, diner (2) santé: sandwich, légumes crus et trempette. Après le dessert, un groupe musical s'installe et le show qui va durer deux heures commence. Les membres du centre reprennent les refrains et rejoignent la piste de danse malgré leurs bobos. C'est beau de les voir revivre leur jeunesse à travers ces chansons.

Même les bonnes choses ont une fin, il faut ranger et se séparer. Les plus chanceux ont reçu des cadeaux des amis, et on se donne rendez-vous en septembre pour la reprise des activités. Merci à ce centre qui m'a offert ma première expérience de travail québécoise car faire du bénévolat et s'impliquer dans sa communauté apporte un plus au curriculum vitae.


Après huit mois jour pour jour, je rends grâce à Dieu de cette adaptation et de cette intégration qu'Il a facilitée, à commencer par la douceur de notre premier hiver. Oui, le Canada est un pays qui offre des opportunités aux nouveaux arrivants. Il faut cependant rester à l’affût des bonnes informations, se rendre dans les organismes appropriés, aller vers les autres, accepter de commencer au bas de l'échelle. Peu importe, une première expérience de travail de trois mois dans un centre d’appel jouera sûrement en ta faveur lors de la présélection pour un poste dans ton domaine. L'ambiance de travail dépend de l'entreprise. Dans mon cas, elle est plutôt très professionnelle, avec peu de familiarité. Le boulot c'est le boulot, l'heure c'est l'heure. J'ai été estomaquée d'entendre un collègue refuser du boulot de la « Sup’ » parce qu'il devait rentrer chez lui à 16h30.

Ici, nous reconstruisons notre réseau social. Nous avons rencontré deux familles sympa que nous fréquentons régulièrement: une ivoirienne et une afro-canadienne (ils sont super sympa). C'est le fun de voir les enfants s'amuser et la dernière sortie à « Tubes et jujubes » a même permis aux parents d'essayer des glissades!

Les garçons ont bien grandi, Pierre-Yves parle québécois et Kyle affirme sa personnalité (refus d'obéir, volonté de faire certaines choses lui même, refus d'être « le plus petit »...). Ils ont mieux survécu au changement de mode de vie que leurs parents même si l'heure d'aller au lit pose toujours problème. Malgré les injonctions des parents, ils résistent jusqu'à épuisement et pleurent quelques heures plus tard, au réveil.

Du lundi au vendredi, c'est le rush au réveil afin que tout le monde soit à l'heure au boulot, à l'école et à la garderie. Le soir, tout (souper (2), douche, lecture de mails) se passe au pas de course pour se coucher tôt. Nous n'avons pas encore réussi à ajouter des activités artistiques ou sportives en semaine comme les canadiens. Le week-end, c’est ménage, lessive et épicerie, sorties au parc ou visites aux amis lorsque les parents ne sont pas trop fatigués. C'est épuisant de bosser et s'occuper des enfants et de la maison en même temps. Pas de « Awa », de « Mariam » ou de « Célestine » pour déléguer les tâches ménagères et tu peux être sure que tout est fait comme tu veux. À Ottawa, j'ai découvert un magasin de produits tropicaux aux odeurs du marché gouro de chez nous. Je me suis rendue compte que ça coûte un peu de retrouver les saveurs de son pays.

 
Il reste encore beaucoup de choses à découvrir, à apprendre, à apprécier, à s'approprier. Je te remercie pour ton soutien et tes prières.
Que Dieu veille sur nous.

P.S.: Peu importe la couleur de la peau, les hommes sont pareils. Les canadiens commettent des infractions routières, certains canadiens sont très « affairés » (ils appellent ça la curiosité) et, si j’ai bien compris l’actualité rce les politiciens empêchent les employés d'exercer leur droit de grève.

P.P.S. : Certains termes vont te sembler nouveaux. (1) Party = fête (2) petit-déjeuner, déjeuner et diner sont appelés ici déjeuner, diner et souper.

Annelies Marie Frank

Je relis Le journal d'Anne Frank. Les mots me manquent pour décrire le sentiment de révolte qui m'envahit face à son destin, mais aussi face au destin de tous ces enfants pris en étau dans des conflits qu'ils n'ont aucun moyen de comprendre ou d'influencer. Liberia, Congo, Sarajevo, Rwanda, Somalie, Colombie, Yemen, Syrie...

L'auteur de Children of War, Roger Rosenblatt, cité dans Time Magazine "Time 100: Heroes & Icons of the 20th century" (14 juin 1999) décrit ainsi l'héritage de cette jeune adolescente traquée, trahie et internée durant les derniers mois de gloire de l'Allemagne nazie:

"Les passions déchaînées par ce livre suggèrent qu'Anne Frank appartient à tous, qu'elle s'est élevée au-dessus de la Shoah, du Judaïsme, de la féminité et du bien, pour devenir une icône du monde moderne - la moralité individuelle assaillie par le mécanisme de la destruction, insistant sur le droit de vivre, questionnant et espérant pour le futur de la condition humaine."


Le journal d'Anne Frank fait partie du registre Mémoire de Monde qui comprend le patrimoine documentaire de l'UNESCO, reconnu comme tel pour son intérêt international et sa valeur universelle exceptionnelle.








"Aklui zozo" (aklui chaud)

En Afrique de l'ouest où je suis né et où j'ai passé ma tendre enfance, les sociétés sont traditionnellement patriarcales. Un enfant mâle aide son père, ses frères et ses oncles dans les travaux champêtres, l'élevage et la construction par exemple, mais est exclus de la cuisine où sa mère, ses soeurs et ses tantes préparent les repas. Je suis né et j'ai grandi dans un cadre influencé par ses pratiques dans le sens où, à la maison, je n'avais pas comme responsabilité d'apprendre à faire la cuisine. Évidemment chaque famille est différente et certains parents voient les choses d'un autre oeil.

Cependant, je me suis retrouvé bien démuni lorsqu'étudiant, je devais planifier et concocter mes propres repas. Peu à peu, j'ai oublié le goût de certains mets de mon pays, mettant ma partielle amnésie gustative sur le coup de l'intégration nécessaire d'un immigrant et de la maigre fréquence de mes voyages de retour. Ah! Le retour! D'autre part, ma peur de l'aventure culinaire m'a cantonné aux mets que mes proches me faisaient découvrir, loin de ceux de mon enfance.

Littéralement en "manque" de ces saveurs et de ces goûts, je commençais un peu à déprimer et j'ai décidé d'en parler à une cousine qui habite Ottawa depuis plus de dix ans. Elle m'a fait découvrir Vanier, un coin particulier de ma nouvelle ville d'adoption. À Vanier, on trouve des restaurants et des magasins offrant des ingrédients et des produits de "chez nous" tels que YKO Charcoal & BBQ Chicken (375 McArthur, 613-747-8947) et All Africa Market (6-411 McArthur, 613-244-0325). C'est ainsi que j'ai pu acheter et préparer du aklui et du tapioca, farines à base de maïs et de manioc servant à faire des bouillies délicieuses. J'ai également acheté du piment que ma cousine m'a appris à préparer et à conserver, du attiéké, mets à base de manioc que nous avons aussitôt dégusté avec un poulet roti au goût inimitable!

Quelle joie de savoir que je peux partager ces saveurs avec mes enfants, nés ici!

Voyage musical

Petit voyage musical vers mes années lycées, l'insomniaque que je suis redevenu retourne dans le monde des notes jazzy de Tracy Chapman!



J'ai découvert cette chanteuse américaine de 48 ans, originaire de Cleveland et vivant à San Francisco, il y a une quinzaine d'années du temps où, jeune poète, philosophe et joueur de basketball, je frottais de mes pantalons les bancs du Lycée français de Tananarive à Madagascar. Des amis m'en avaient refilé une cassette -eh oui, en ce temps là, on passait de la face A à la face B pour écouter un album- et adolescent plutôt romantique et sentimental, j'ai tout de suite apprécié la voix douce et chaleureuse, mais surtout la musique dépouillée de ses albums. De plus, apprenti en mal de pratique de la langue de Shakespeare, j'ai été touché par le sens profond des paroles de ses chansons que je commençais à comprendre.

La vie de Tracy-la-timide (qui a un diplôme en anthropologie et en études africaines de l'université Tufts au Massachusetts, clin d'oeil à mon amie A.G.) semble, loin des soirées mondaines de la jet set, continuellement refléter  l'Amérique profonde. Elle aime se produire en Europe et utilise simplement sa voix et sa guitare pour dénoncer l'injustice et la pauvreté, parler de révoltes, de douleurs, de promesses ou d'amours trahies et d'espoirs d'évasion.

Parmi mes préférés, son deuxième album sorti en 1989, et la chanson titre, "Crossroads" que voici. Tout un symbole.

Bonne nuit!



Le visage de l'ombre

Je viens de réaliser une interview avec Iman Eyitayo, jeune écrivaine d'origine béninoise vivant entre Paris et le Québec. Iman vient de publier son premier livre et on sent autour d'elle la frénésie des nouveaux départs et des belles réalisations. Iman, c'est aussi une Mopaya, une "étrangère", une bourlingueuse qui a roulé sa bosse sur les trois continents si chers à la Diaspora africaine, la terre mère Afrique, l'Europe et l'Amérique. Je vous livre ici ses propos et nos échanges, qui ont eu lieu entre Ottawa et Paris, dans le confort de nos salons respectifs.


3 mai 2012 – Conversation avec Iman Eyitayo

[15:32:13] Toun: Salut Iman, je viens d’apprendre que tu as publié un livre. Quel en es t le titre ?

[15:32:39] Iman: "Le visage de l'ombre", c'est le 1er tome de la série "Coeur de flammes"

[15:33:02] Toun: Combien de livres font la série? Pourquoi une série?

[15:34:27] Iman: Quatre tomes. Pourquoi une série? A vrai dire, je voulais explorer plusieurs facettes de mes personnages (certains viennent de mondes différents, donc avec des cultures différentes), les voir évoluer et aussi simplement parce que l'histoire me l'impose ! Il me serait impossible de tout raconter en un tome ou alors il ferait facilement 1800 pages !

[15:34:52] Toun: (sourires) Ton site explique un peu comment tu en es arrivée à écrire. Cependant, tu parles d'un évènement marquant qui aurait été le déclic. Peux-tu m'en dire plus?

[15:38:10] Iman: en fait, après avoir été diplômée, j'ai obtenu un CDI, c'est un peu le sacre en France, le fameux contrat à durée indéterminée. En général, obtenir son autorisation de travail est une formalité. Alors j'ai lancé ma demande, persuadée (aussi bien moi et mon entreprise) que je l'avais haut la main (je précise qu'aux yeux de tous j'ai un dossier en béton: diplômes et tout ça...). Mais après un mois à faire mes preuves, j'ai reçu une lettre de l'administration disant que mon autorisation de travail était refusée. Ca a été un choc. Vraiment. Je me suis retrouvée sans revenus, sans statut, du jour au lendemain. J'ai dû quitter mon entreprise le jour-même. Certes mon entreprise a entamé une démarche auprès du tribunal mais c'est long et en attendant, je n'ai pas le droit de travailler. Je ne savais plus quoi faire alors écrire était ma seule consolation. J'ai écris sans relâche pour essayer de ne pas y penser.

[15:48:02] Toun: "Rien ne surpasse en difficulté notre propre incapacité a accomplir quelque chose" cite Marie-Anne Keverian sur le site de Créateurs d'avenir, un concours d'entrepreneurs du Québec.  Plusieurs écrivains se sentent "refoulés". Les aléas de la vie, le travail, la course après le temps et surtout le manque de confiance en soi. Au delà, des millions de personnes abandonnent leurs rêves pour les mêmes raisons. Que recommanderais-tu à une "rêveuse refoulée ou un rêveur refoulé"?

[15:58:30] Iman: Je dirais qu'on ne vit qu'une fois et que la peur de l'échec est certes normale, mais inutile. Je veux dire, lorsque j'ai fait lire mon livre pour la première fois à ma soeur, je ne pensais pas du tout à me faire publier, j'étais certaine que c'était du "gâchis" mais je savais aussi que "je n'avais rien à perdre, rien à miser". J'étais déjà dans le fond (selon ma conception de la chose). Et là, le miracle. Ma soeur me rend le manuscrit, avec pour ordre "d’écrire la suite!" J'ai d'abord pensé, "c'est la famille", puis les critiques amicales ont suivi. Au final, je pense que lorsqu'on a l'impression d'avoir réalisé ses plus grandes peurs, on ne risque plus rien, on n'a plus peur. Et c'est dans ces moments là qu'on fait les plus grandes choses. Je dirais que l'échec est une possibilité certes, mais qui ne devrait freiner personne dans son élan. L'échec est même ce qui nous permet d'avancer.

[16:02:42] Toun: À travers les aventures d'Aluna ton personnage principal, évoquerais-tu également le cheminement de migrants et d'immigrants? Cette histoire est-elle en partie inspirée de tes propres pérégrinations?

[16:08:06] Iman: En fait, à l'origine le personnage d'Aluna a été créée de l'esprit d'une enfant (noire bien sûr) de 11ans qui avait peur du rejet, c'était un peu la matérialisation de ce que je voyais dans la vie: le non droit à l'existence, l'impossibilité de s'exprimer, l'obligation de taire son nom et de se cacher. Je dirais que c'est probablement plus en lien avec la place de l'enfant noir dans sa propre société qui quelque part fait aussi écho à celle de la société noire dans le monde: existence mais dans l'ombre. Le détail qui tient vraiment de mon expérience d'immigrée, c'est le Régisseur: ce tyran qui s'impose en maître sur Iriah et qui n'avait à l'origine pas cette forme et cette importance dans l'histoire. Cette injustice dans mon monde reflète assez bien (je pense) certaines aberrations du système dont je suis en quelque sorte la victime aujourd'hui.

[16:10:21] Toun: Plusieurs thèmes intéressants s'y recoupent donc. Comment peut-on se procurer "Le visage de l'ombre"?

[16:11:45] Iman: Il existe sous trois formats à ce jour: le format mobi sur amazon, le format epub sur www.lulu.com et le format papier toujours sur www.lulu.com. Un format epub devrait être disponible sur Apple d'ici quelques jours.

[16:16:46] Toun: Il est quelle heure à Paris?

[16:16:58] Iman: 22h15

[16:17:10] Toun: Je suis heureux que Skype nous ait permis d’avoir cette conversation. Merci, au nom des lecteurs d’Indigène du monde, pour ton ouverture et pour l’inspiration. Merci Iman, et bon succès à ton livre!!

[16:17:15] Iman: De rien :)